Le podcast Tsukimi –  Episode 34, Le samouraï, la légende des 47 rônins et Tomoe Gozen, femme samouraï

Le samouraï est la figure la plus emblématique du Japon. Elle est si mythique qu’il n’est pas facile de l’exhumer de son passé. On en a fait un être cruel ou bien un saint, un fou idéaliste et un fin politicien, un cul-terreux et un aristrocrate de haute lignée, un serviteur et un puissant.

Quelle est la différence entre un guerrier classique et un samouraï ? Comment le samouraï en est-il venu à dominer la scène politique du Japon médiéval ? Et dans quelle mesure la culture samouraï infuse-t-elle encore la société japonais actuelle ? Voici les questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet épisode. Nous parlons de Tomoe Gozen, femme samouraï. Et de la légende des 47 rônins, ces samouraïs sans maître qui se sacrifièrent pour laver l’honneur de leur défunt maître.

Mitsugorô II (1750-1829), acteur sous ce nom de 1785 à 1799, interprète le rôle d’un rônin, un samuraï sans maître, par Utagawa Toyokuni (1769-1825)

Références :

Le terme « samouraï » vient du verbe japonais « saburau », qui signifie « servir ». Ce terme est mentionné pour la première fois dans un texte du xe siècle, mais ce n’est qu’à partir du 17e siècle qu’il est utilisé dans le sens où on l’entend aujourd’hui, c’est à dire un guerrier noble pourvu de codes moraux stricts.

Au départ donc, autour des 4e-5e siècle, il y a des guerriers, appelés « bushi », dont la fonction est de défendre le clan. Le clan regroupe des membres rassemblés sous l’autorité d’un chef héréditaire. Ce sont les liens du sang qui dans un premier temps lie tous les membres, puis peu à peu, le clan intègre plus largement ses membres pour former une communauté avec différents corps de métier. A partir du 7e siècle, les seigneurs de ces premiers clans vont devenir des hauts dignitaire et rejoindre la Cour à Nara puis Heian, l’ancien nom donné à Kyoto. Pour gérer les affaires locales, ces seigneurs vont nommer des intendants parmi les chefs de plus petits clans qui sont sous leur autorité. Ces intendants devant faire face à de nombreuses attaques et révoltes notamment face aux impôts, s’entourent de guerriers et s’entraînent eux-même au combat afin de les guider.

De sorte qu’au 8e siècle, on aboutit à deux profils de seigneurs : le haut-dignitaire, un aristocrate épris de poésie aux mille raffinements et dont le modèle est le Genji, héros du récit de Murasaki Shikibu, et d’autre part le chef provincial qui est aussi un combattant. Le pinceau pour l’un, le sabre pour l’autre.

Pendant quelques temps, ces deux seigneurs s’aident mutuellement : le haut-dignitaire apporte sa légitimité et son prestige au chef provincial, tandis que celui-ci défend ses biens. Mais à partir du 11e siècle, un glissement de pouvoir s’effectue entre les deux figures. Et au moment même où les aristocrates de la capitale sont occupés à jeter les bases d’une civilisation originale dans les arts, la vie politique et économique du pays commencent à leur échapper. Car pendant qu’ils consacraient toute leur énergie aux arts, à la poésie, au libertinage et à l’étiquette de la cour, les seigneurs des provinces acquièrent l’expérience pratique des affaires, gèrent avec soin leurs domaines et apprennent à se passer des directives de la capitale.

Ce qui va faire définitvement basculer le Japon dans le système féodal dominé par le samouraï, ce sont les multiples conflits successoriaux qui vont au 13e siècle opposer les deux grands clans de l’époque, chacun soutenus par des hauts-dignitaires en désaccord. Il s’agit du clan de Minamoto établi dans le Kanto, et du clan de Taïra. Je vous passe les détails, mais le conflit finit en guerre civile appelée La guerre de Genpei qui s’étent de 1180 à 1185. Le chef du clan Minamoto l’emporte, et déplace le centre du pouvoir à Kamakura où il se fait appeler d’un nom que vous avez certainement déjà entendu : shogun.

Pendant cette période de conflit, la figure du samouraï se cristallise et s’élève pour devenir un modèle dominant.  C’est à cette période que s’illustrent les samouraïs les plus légendaires, parmi lesquels je ne résiste pas à vous citer une femme samouraï du nom de Tomoe Gozen.

Personne ne sait exactement quand est née et quand est morte cette femme guerrière, et sa vie a été tant de fois reprise dans les légendes populaires qu’il est aujourd’hui impossible de distinguer la vérité de la légende.

Tomoe Gozen était surtout connue pour son habileté au combat, sa bravoure et sa loyauté. Selon les récits historiques et les légendes, elle était-une redoutable cavalière et archère. Il est souvent dit aussi qu’elle était d’une beauté exceptionnelle, mais c’est sa force et son talent martial qui la distinguent dans les chroniques. Tomoe Gozen aurait été au service de Yoshinaka, un général du clan Minamoto, avec qui est aurait eu une liaison. Dans la guerre de Genpei, elle aurait pris part à plusieurs batailles importantes, et aurait tué de prestigieux ennemis en duel, dont un célèbre général du clan Taïra, celui qui sortira perdant du conflit. Certaines versions de l’histoire prétendent même qu’elle aurait tué un samouraï géant en combat singulier, puis l’aurait décapité comme il était de coutume à l’époque lorsqu’on vainquait un ennemi illustre. Ce qu’il advint de Gozen après la guerre n’est pas clair. Certaines versions disent qu’elle serait morte sur le champ de bataille aux côtés de son amant Yoshinaka tandis que d’autres disent qu’elle a été vue fuyant le champ de bataille en emportant une tête, peut-être celle de Yoshinaka, à moins que ce fût celle d’un ennemi. Ensuite elle se serait jetée dans l’océan avec la tête, à moins qu’elle ne soit devenue une religieuse bouddhiste.

Ce qui transparait dans la flamboyante équipée de Tomoe Gozen sont les valeurs de courage, d’une certaine férocité, et de loyauté. Ces valeurs sont au cœur de l’éthique samouraï appelée bushido.

Le bushido qui signifie « la voie du guerrier » est un code destiné à régler selon l’honneur le comportement des guerriers dans les batailles et plus largement pendant toute leur existence. Le terme « Bushido » rassemble en effet les termes « bushi » qui signifie guerrier, et « do » que l’on retrouve aussi dans « sado », la voie du thé, et qui évoque une idée de vocation, de chemin de vie. On comprend ici que le bushido n’est pas seulement un code d’honneur, mais une manière de communier avec le sacré, de se transcender pour toucher l’essence de l’existence. En ce sens, c’est une voie d’ascèse et de dépouillement qui va jusqu’au sacrifice, comme l’illustre la légende des quarante-sept rônins, qui est basée sur des faits réels.

Le récit rapporte l’histoire de Asano, un seigneur qui en 1701, à la suite d’une grave insulte reçue de Kira, un haut fonctionnaire de la cour du shogun, dégaine son sabre et blesse l’homme qui a terni son honneur. L’usage du sabre étant interdit dans l’enceinte du château, les autorités le condamnent à ses suicider en confisque son domaine. Ses anciens vassaux perdent par ricochet leur statu de samouraï et les privilèges qui s’y rattachent, ils deviennent des rônin, c’est-à-dire des samouraïs déclassés ne relevant d’aucun maître. 47 d’entre eux font le vœu de venger leur maître. Mais sachant qu’ils sont surveillés, ils patientent pendant 2 années. Leur chef Ôishi Kuranosuke affiche aux yeux de tous une vie de déchauché destinée à écarter les soupçons qui pèsent sur lui. Finalement, par une nuit de neige le 30 janvier 1703, les 47 ronins se regroupent à Edo, s’introduisent dans la demeure et décapent Kira. Puis il se rendent au temple Sengaku d’Edo, où est enterré Asano, pour lui présenter la tête de son ennemi. Ils se livrent ensuite aux autorités qui, après délibération le 4e jour du 2e mois de l’an 16 (le 20 mars 1703) leur accorde le droit d’expier leur crime honorablement en se faisant seppuku, un mode de suicide dont nous allons reparler.

Simple fait divers, cette histoire connait un fort retentissement auprès de l’opinion publique qui la célébre comme l’ultime expression du bushido. Malgré la censure shogunale, l’histoire fut reprise dans les théâtres de Bunraku, le théâtre de marionnettes, et de Kabuki.

S’il est un acte qu’on a retenu au sujet des samouraï, c’est donc bien celui du seppuku, cet acte qui consiste à se suicider en s’ouvrant le ventre. On le connaît aussi sous le nom de harakiri, mais le terme est plus utilisé dans le langage courant, tandis que seppuku est plus adapté à la langue écrite. Mais savez-vous précisément en quoi se faire seppuku consiste ? Oreilles sensibles, c’est maintenant qu’il faut avancer l’épisode d’une minute30 si vous ne souhaitez pas entendre ces détails ! Traditionnellement, le seppuku était réalisé dans un temple en s’ouvrant l’abdomen à l’aide d’un wakizashi, qui est un sabre court propre au samouraï. La forme traditionnelle consiste en une ouverture transversale (dans la largeur), juste au-dessus du nombril. Il existe une version moins honorable et moins douloureuse dans laquelle un « ami » si l’on peut l’appeler ainsi, coupe la tête pour une mort instantanée. Le seppuku comporte enfin une version encore plus douloureuse, qui demande le plus de courage : il s’agit du jumonji-giri, qui consiste à rajouter une coupe verticale (de haut en bas) à la coupe horizontale. Cependant la forme traditionnelle était rarement appliquée, la plupart des samuraïs qui s’adonnaient au seppuku tenaient dans leur main le wakizashi et, dans la plupart des cas, l’ami tranchait la tête du samuraï avant même qu’il se soit éventré. Certains tenaient même un simple éventail dans leur main en guise de sabre symbolique.

Petite précision qui a son importance dans l’histoire des genres au Japon : le suicide ritualisé seppuku était un rituel masculin. Les femmes nobles et épouses de samouraïs pratiquaient quant à elles le jigai, une forme de suicide consistant à se trancher la gorge (carotide) avec un poignard.

À ce stade, il me paraît important de faire une petite parenthèse sur le suicide et le Japon. On dit souvent, et vous l’avez certainement entendu, que les Japonais sont un peuple suicidaire. Cette idée, qui est notamment dénoncée dans le podcast Préjugés de France Inter, a été véhiculée par des récits tels que celui des 47 ronins et aussi par les aviateurs kamikaze de la 2de Guerre Mondiale. Et certains utilisent même cet argument pour discréditer tout discours parlant du bien-être à la japonaise. Car dans notre culture européenne moderne, se donner la mort est un acte mal perçu, traditionnellement associé au péché. Loin de moi évidemment l’idée de faire l’apologie du suicide, mais il me semble intéressant de considérer cette différence de perception. D’un côté un acte de bravoure, de l’autre un acte indigne.

Or, et quand bien même le suicide ne soit pas aussi mal perçu au Japon que dans nos sociétés d’héritage judéo-chrétien, il faut savoir que cet acte de seppuku a de tout temps été extraordinaire au sens d’in-habituel. Et du reste, d’après les statistiques actuelles, le Japon n’est pas un peuple spécialement suicidaire et se situe en 25e position, après des pays comme les Etats-Unis, la Belgique, ou encore la Finlande.

Cette parenthèse fermée, revenons une dernière fois à nos valeureux samouraïs.

Parce que leur vie est dédiée à cette voie, les samouraïs considérent leurs armes comme des objets sacrés. Le sabre en particulier, est pour le samourai un objet dont la lame symbolise son âme. Retirer d’un geste lent la lame du fourreau, ou rapidement, le faire tinter sur le sol ou vivrer dans l’air était en soi un langage silencieux. Seule la caste des samourai est autorisée à porter le daishô, un ensemble de deux sabres comprenant le sabre long « katana » et le sabre court dont on a parlé plus tot, le wakasashi.

En parallèle à l’art du maniement du sabre, les guerriers conçoivent également une philosophie appropriée à l’utilisation de l’arc « kyudo », la voie de l’arc. Ils s’inspirent des arcs des guerriers mongols qui tentèrent d’envahir le Japon à deux reprises au 13e siècle, en augmentant leurs dimensions. Se servir d’un si grand arc demandait un équilibre de tout le corps et une très grande concentration. Les archers devaient se préparer mentalement et purifier leur esprit afin de ne faire qu’un avec la cible. « Ce que l’archer vise, c’est le centre de lui-même » écrit à ce sujet l’historienne de l’art et spécialiste d’art japonais ancien Nelly Delay dans son livre « Le Japon éternel » aux Editions Gallimard.

Après la bataille de Genpei au 12e siècle qui établit le shogunat et la caste des samouraï au pouvoir, la double invasion des Mongols au 13e siècle finit de les consolider au pouvoir. Ces invasions ont lieu en 1274 et 1281, et sont impulsés par l’empereur Kubilai Khan, petit-fils de Genghis Khan, le même qui employa Marco Polo et qui gouverna sur la Mongolie, la Chine ou encore le Vietnam. Les samouraïs parviennent les deux fois mais de justesse à repousser l’envahisseur. Saviez-vous d’ailleurs qu’avant d’être attribué aux aviateurs de la seconde guerre mondiale, le terme « kamikaze » avait été utilisé pour parler de la manière dont miraculeusement avait été repoussée la 2 invasion ? Lors de celle-ci invasion, les Mongols débarquèrent dans la baie de Hakata près de Fukuoka avec plus de 150 000 hommes et une nette supériorité technique. Mais avant qu’ils ne parviennent à déployer leurs forces, un typhon détruit leur flotte. Les Japonais saluent celui-ci en le baptisant « kamikaze » qui signifie « vent divin ».

Les XIV et XVe siècle, sont d’après les historiens une période de confusion politique et de désintégration du pouvoir central avec une guerre des clans. Cette évolution résulte de l’accroissement du nombre des chevaliers qui rend impossible le maintien des liens personnels de fidélité, liens de fidélité qui faisaient la structure du régime de Kamakura. Au XVIe siècle émerge la figure des daimyo, véritables suzerains locaux qui contrôlent des régions entières. L’art de la guerre se transforme également avec l’introduction des premières armes à feu et qui renverse l’équilibre des forces à l’occasion de la bataille de Sarashino en 1575. Cette bataille oppose le clan Takeda et celui du plus modeste clan Oda, dirigé par Oda Nubonaga. Pour plonger dans cette époque, je vous recommande le documentaire « Le temps des samouraïs » actuellement sur Netflix. Oda Nobunaga, à la tête d’un clan plus modeste, passe un accord avec les Jésuites et avai reçu des amrles à feu en échange de leur conversion. Sur le champ de bataille de Sarashino, il fit pour la première fois usage d’armes à feu derrière des palissades de bois. Le clan Takeda fut décimé et disparut définitivement en 1582. Cette bataille restée célèbre marque le début d’un changement complet dans la société féodale et porte un coup fatal au bushido : l’honneur déserte le champs de bataille au profit de l’efficacité des coups portés.

La guerre des clans prend fin avec le siège du château d’Osaka en 1615 qui consacre la victoire d’un capitaine d’Oda Nobunaga, Ieyasu, chef du clan Tokugawa. Il installe le pouvoir à Edo, ancien nom de Tokyo, qui restera jusqu’à aujourd’hui le centre du pouvoir. En 1636 son successeur ferme les portes du Japon au reste du monde, en interdisant à tout Japonais de se rendre à l’étranger et s’oppose au retour dans l’archipel des sujets nippons résidant sur le continent. Les Portugais sont chassés, et moyennant un contrôle des plus sévères, seuls les marchands chinois et hollandais ont la possibilité de commercer via le port de Nagasaki. S’ensuit 2 siècles de paix civile appelée l’ère Tokugawa, où le pays est sous étroite surveillance, comme pétrifié dans une structure féodéale figée, au détriment de l’ouverture sur le monde et du progrès social et économique. Cet état allait voler en éclat à la réouverture du pays au reste du monde au 19e siècle pendant l’ère Meiji. Mais ceci est une autre histoire…

Que conserve le Japon d’aujourd’hui de l’ère des samouraïs ? Dans son Histoire du Japon, Reischauer écrit en 1946 ces mots « pour le féodal nippon, la loyauté personnelle et les liens sacrés de la famille sont par essence inviolables. Le tempérament national japonais a emprunté à cet idéal chevaleresque deux de ses vertus essentielles : le mépris de la souffrance physique et de la mort et la fidélité indéfectible aux engagements souscrits. » Et à l’heure actuelle, si l’on a heureusement plus l’occasion de mettre à l’épreuve la résistance à la douleur, le sens de l’engagement reste sans aucun doute une valeur très importante au Japon.

Le samouraï laisse aussi derrière lui l’image d’un homme épris d’idéal et au courage inoxydable. Notre épopée sur plus de 7 siècles s’arrête donc ici, je vous donne rendez-vous pour l’interview de février avec ce rébus : mon premier est la troisième note, mon deuxième est un contenant très pratique, tant pour le jardinier que le maçon !